jeudi, juin 22, 2006

A Martine

Hier, 19h45, un ordinateur portable s'autodétruit. Le mien.

Hier, 20h30, Carrefour Meylan, un ordinateur se vend à un acheteur compulsif incapable de vivre sans une connexion au monde, sans le dialogue avec l'inconnu, la meteo.fr, les vidéos pornographiques et les Meetshake de Meetic. C'était moi.

Une hôtesse de caisse obèse du bas et ronde du haut m'offre un sourire gras probablement sincère, elle ferme dans 30mn.

En fin de journée dans une grande surface, il reste principalement les caissières les plus moches, les plus vieilles ou partiellement handicapées par un physique à l'asymétrie verticale : des culs larges pour des bras minces et flasques, des rouquines avec racines, des presques blondes, des petites nerveuses syndiquées aux cheveux courts.

Moi, j'ai Martine, belle plante aux cheveux rouges.
Le petit siège ou son corps se fossilise depuis 14h souffre de sa masse imposante, il couine et raille quand elle hurle trois caisses plus loin le prix d'un paquet de Pépitos. Je rougis sans raison.

Théorème : la caissière expérimentée se reconnait par un rituel précis : Elle ne regarde jamais le prochain client avant d'en avoir terminé avec le précédent. Jamais.

J'ai eu beau faire le test en maintes occasions, rien n'y fait. Même bruyant, soupirant, même gesticulant ou m'approchant au plus près du client qui paye, même juste en face d'elle...la caissière ne me regarde pas, je suis invisible, pas même un corps.

Enfin, c'est mon tour à la caisse.
La file des caddies, un étroit couloir comme un vagin fait de chewing gum, de briquets, de Mentos et de Télémagazines.
Le sourire, le bonjour, sa tête qui se tourne, ses yeux qui me fixent, son pied qui enclenche le tapis, tout ceci durera 1 seconde. 1 seconde pour m'expulser, crier.

Et un consommateur est né. Je m'extrais du monde silencieux de la file d'attente dans la douleur d'un sachet plastique qu'on décolle de tous les autres.

Là, ensuite, je ne serai qu'à elle, j'aurais droit, quand un code barre fonctionne mal, à un regard embêté complice, j'aurais droit à un autre en coin par moment, pour voir si mon emballage suit son rythme effréné. Je serai son objet. Je serais même un peu plus si j'ai ma carte de fidélité.
Le temps de quelques yaourts vanille, de coeur de laitue, de Pim's noix de coco, nous serons seuls. Je sentirai la malveillance des suivants, leur jalousie pour nous, notre moment.


Hier je ne suis pas passé en caisse, mon pc s'achète à part...

Longer les tapis roulants et les sacs recyclables vers 21h dans une grande surface, c'est s'assoir devant Discovery Channel.
Là, quand les néons s'éteignent, une vieille caissière boit à la source son Evian.

Se taire.
Observer.